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Super Boxers (Ron Wilson / John Byrne / Armando Gil)

Super Boxers cover
©Ronald Wilson

Penchons-nous aujourd’hui sur un Marvel Graphic Novel largement tombé dans l’oubli et qui fut publié sous nos latitudes il y a bien longtemps dans la collection Top BD de Lug.
L’album français reprenait d’ailleurs en couverture la back cover peinte de Mark Bright en lieu et place de la véritable cover de Bill Sienkiewicz qui se trouva elle reléguée en…. back cover du Top BD.
Comme quoi l’immense Bill effrayait décidément beaucoup l’éditeur lyonnais.

Outre que cette histoire, pour toute sympathique qu’elle soit, est au final assez anecdotique, les raisons de cet oubli tiennent aussi au fait que ce Graphic Novel est le creator owned d’un dessinateur plus ou moins oublié de nos jours : Ronald « Ron » Wilson.
Ron Wilson fait parti de toute cette catégorie de petits artisans efficaces et modestes qui hantèrent les pages de nos comics durant les années 70 et 80 et qui furent totalement balayés hors de l’industrie avec l’avènement de « l’école Image » et des stars/clones « Mac Lee-fieldesques ».

Ron Wilson

Né à Brooklyn, Wilson intégra Marvel en qualité d’assistant et encreur au sein de l’atelier de John Romita père et qui servait à donner un style d’ensemble au catalogue de la compagnie soit, en gros, faire du Jack Kirby/Joe Sinnott dans la majorité des cas.
Fan du King devant l’éternel (à tel point que notre moumoute en pattes d’éléphants, jamais avare d’un compliment vache, lui déclara un jour « Ron, you’re the poor man’s Jack Kirby. » ), il se fait rapidement remarquer grâce à son style puissant et à sa rapidité d’exécution en se voyant confier de multiples fill-ins sur des séries mettant en scène les personnages les plus bourrins de l’éditeur : Black Goliath, Power-Man, Hulk…
Bien après ce MGN, il dessinera aussi une autre série toute en délicatesse nommée He-Man (Les Maîtres de l’Univers).

La semi-célébrité, à défaut de la gloire et de la reconnaissance qu’il ne semble pas rechercher,  il la doit à son très long run sur la série Marvel Two-In-One (1975-78 puis 1980-1983) qui lui permet de lier son nom de manière indélébile à l’une des créations de son idole, The Thing.
Il devient sur cette série, l’équivalent de ce que furent Herb Trimpe et Sal Buscema sur Hulk et sa version du personnage constitue une sorte d’image d’Epinal du neveu de tante Petunia.

Son nom est alors lié de telle manière au personnage qu’il dessine qu’en 1983, date de sortie de ce MGN, lorsque Marvel supprime MTIO et relance la série sous le titre The Thing en confiant les scénarios à la superstar John Byrne, Wilson conserve son poste aux dessins.
Néanmoins, si Wilson est une figure connue du lecteur marvelophile de par sa longévité, il n’est pas une star propre à enflammer les foules comme l’étaient alors John Byrne, Walt Simonson, Bill Sienkiewicz ou Frank Miller.

C’est donc avec surprise que l’on voit débarquer ce Marvel Graphic Novel qui ne semble pas promis à un fulgurant destin commercial (et qui, de fait, ne le sera pas).
Si l’on trouve un début d’explication dans les retards permanents de la collection qui nécessite le reformatage d’autres projets (voir l’article sur les New Mutants) afin de satisfaire les deals déjà conclus avec les imprimeurs, la raison de ce Graphic Novel doit grandement à une autre explication.

En effet, Ron Wilson a une passion pour les sports de combat (on le verra plus tard dessiner des titres mettant en scènes les stars de la ligue de catch WCW), en particulier pour la boxe.
De plus, il entretient des relations extrêmement cordiales avec Jim Shooter.
Wilson reconnaît avoir beaucoup apprit de l’editor-in-chief pour tout ce qui concerne le storytelling et que ce sont les conseils de ce dernier qui lui ont permis de passer du stade de simple illustrateur à celui de narrateur.
Les deux hommes sont aussi liés par la même passion pour le noble art et adorent regarder des matchs ensemble voir disputer un combat l’un contre l’autre à l’occasion (les deux hommes ont longtemps aspirés à devenir boxeurs).

SP1
©Ronald Wilson

Et nous en arrivons donc à l’origine de ce projet.
Un soir, Wilson assiste à une projection de Star Wars avec ses amis puis à un combat de boxe.
C’est là qu’il se dit qu’il aimerait bien faire une histoire qui mixerait son amour pour les hommes se frittant en shorts avec la science-fiction et, une fois rentré chez lui, commence à jeter une ébauche d’idée sur le papier.
Peu après, il soumet son pitch à DeFalco et Shooter lors d’un déjeuner et le big boss dit aussitôt « banco » comme dirait l’autre.

A partir de là, tout modeste qu’il est quand à ses capacités pour l’écriture, Wilson démarche John Byrne, avec qui il est en train de préparer les premiers numéros de The Thing, afin de voir si ce dernier voudrait bien aider à donner forme aux idées du dessinateur.
Byrne se montre enthousiaste lui aussi et accepte de travailler sur le MGN de son compère.
C’est une aubaine pour Wilson qui pourra ainsi attirer quelques lecteurs de plus sur la valeur du nom de Byrne qui est alors l’enfant-star de Marvel (il sort de son run sur Uncanny X-Men et écrit alors parallèlement Fantastic Four et Alpha Flight).
Ron Wilson embarque aussi dans l’aventure son assistant et encreur habituel qu’il a lui même formé et qui sera donc le plus à même d’embellir ses dessins comme il le souhaite, Armando Gil.

« Dans le futur, les corporations ont pris le pouvoir.
Une minorité de privilégiés vit dans l’opulence tandis que les prolétaires survivent tant bien que mal dans les bas fond de l’Underground.
Le seul point commun entre ces deux groupes est leur passion pour les combats entre super-boxeurs.
Les pauvres y trouvent un moment d’évasion tandis que les riches utilisent ces combats pour résoudre leurs différents d’affaire.
Prise à la gorge, la dirigeante de Delcosmetics, Marilyn Hart, engage un super-boxeur de l’Underground, Max, pour affronter Roman, le tenant du titre et champion de son rival économique Garry Madison. »

Malgré tout cela, Super Boxers n’est qu’un demi-succès.
L’album n’est pas mauvais du tout, c’est même assez agréable à lire, mais le résultat est extrêmement classique.
Le contexte du récit est typique des futurs dystopiques proto-cyberpunks de la fin des années 70 et du début des années 80 avec ses méga-corporations opprimant les classes populaires après avoir supplanté le pouvoir politique.

L’histoire aussi est très classique et clairement sous l’influence de la saga Rocky, tout du moins les deux premiers films, avec son message prônant le retour aux vraies valeurs de la boxe et s’opposant au cirque médiatique à la Don King, auquel il faut ajouter un soupçon de Spartacus dans la figure du héros libérateur des opprimés.
Au final, le mélange de ces deux idées nous livrent un Graphic Novel rappelant étrangement un classique du cinéma de S.F des seventies: Rollerball, en bien moins violent tout de même.

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©Ronald Wilson

Quand aux personnages et aux ressorts de l’intrigue, c’est du même tonneau : les gentils sont très gentils, les méchants très méchants, les rebondissements se devinent dix pages à l’avance…
Néanmoins, le tout se laisse lire sans déplaisir grâce à la narration sobre de Byrne dont les interjections favorise l’immersion dans le récit.
Les pages défilent sans que l’histoire paraisse lourde et finalement, malgré ce manque d’inventivité, on passe un bon moment.
Toute le récit, malgré (ou à cause?) de son contexte futuriste, baigne dans une sorte de climat nostalgique, passéiste… une sorte de « c’était mieux avant !! » assez étrange pour les « roaring eighties » (le récit sonne franchement plus comme les oeuvres désenchantées des seventies en crise) mais pas désagréable pour autant si l’on est bien luné lors de la lecture.

Cette « étrangeté passéiste » est aussi totalement présente dans les dessins de la paire Wilson/Gil.
Ainsi, le héros ressemble au Marlon Brando de The Wild One (L’Equipée Sauvage) tandis que le futur d’opérette crée par Wilson semble s’être échappé des pages d’un vieil exemplaire du Magnus, The Robot Fighter de Russ Manning ou du Flash Gordon d’Alex Raymond avec ses véhicules et ses immeubles effilés.
Clairement, Ron Wilson a bien étudié ses classiques de la bande dessinées américaines puisque ses personnages féminins renvoient aussi à Raymond, Manning, Burne Hogarth, la Blanche-Neige de Disney et surtout aux pin-ups de Joe Shuster.

Ses boxeurs renvoient bien évidemment à son maître Kirby mais parfois plus encore aux morphologies pataudes de Superman tel que dessiné par Wayne Boring et constituent paradoxalement la partie la moins satisfaisante (pour être gentil) du graphisme de Wilson qui tire plus sur Trimpe que sur Kirby dans la représentation de gros costauds.
Ainsi, les bras aussi courts que ceux d’un amputé ou les cranes surdéveloppés des boxeurs sont franchement inesthétiques, ce qui est un peu problématique pour une histoire dont ils sont les héros.

C’est d’autant plus dommage que le reste est franchement maitrisé à défaut d’être génial.
Pareillement, le storytelling des pages de Wilson est d’une clarté absolue, efficace, sobre, classique avec très peu de fanfreluches.
On sent clairement l’influence d’un Shooter pour lequel une mise en page claire comme de l’eau de roche constitue le Graal (parfois jusqu’au fanatisme).

Petits détails anecdotiques mais amusants, les gants des boxeurs n’ont que 4 doigts en clin d’oeil à The Thing et le personnage de Rolf est basé sur John Byrne.
Autre détail beaucoup plus troublant pour le lecteur d’aujourd’hui est la surprenante similarité entre certains designs de Wilson avec ceux de Marcos Martin.
C’est clairement une coïncidence (enfin, à notre avis) tant le niveau de Martin est bien au-dessus de celui de Wilson mais amusant.

SP3
©Ronald Wilson

Le seul véritable problème graphique vient d’une colorisation catastrophique qui est l’oeuvre de pas moins de cinq coloristes (Bob Sharen, Steve Oliff, John Tartaglione, Mike Esposito et Mark Bright) qui ont dut probablement travailler dans la précipitation et qui ne se sont pas consultés les uns les autres.
Par conséquence, la palette graphique est totalement incohérente : la chevelure de Rolf alterne du blond au roux selon les pages et les armures des boxeurs évoluent brutalement entre rouge, rose, violet, bleu et vert d’une page à l’autre.
Cela ne parasite certes pas trop la lecture mais c’est clairement le plus gros handicap de cet album.

Malgré tout ces petits défauts, le concept de ce MGN attira l’attention d’Hollywood puisque Ron Wilson vit sa création optionnée par Disney dans l’optique d’en faire un film qui se perdra finalement dans la fosse aux serpents de mer des projets jamais portés à l’écran.
Cet album entérina aussi l’amitié entre Byrne et Wilson qui prendront plaisir trois ans durant à faire évoluer The Thing dans le milieu du catch puis dans un cadre Space Opera désuet.

Si trente ans après, l’étiquette Marvel Graphic Novel apparaît bien ronflante pour un album somme toute anecdotique, Super-Boxers reste sympathique à lire les soirs de désœuvrement grâce à ce côté suranné (ce futur faisait déjà assez vieillot à l’époque de la sortie de Blade Runner) et à la sensation de voir une équipe se faire plaisir sans trop se poser de questions.

Quand au prochain Marvel Graphic Novel, il sera aussi un creator owned et impliquera lui aussi un ancien dessinateur d’Uncanny X-Men mais ça, ce sera pour la prochaine fois.

SB back cover
©Ronald Wilson

2 réflexions au sujet de “Super Boxers (Ron Wilson / John Byrne / Armando Gil)”

  1. En lisant ton article et en revoyant les dessins je comprends pourquoi j’avais tout oublié de ce comics (sauf la couverture) ^^ Effectivement ça sent bon les 80’s et ça n’a pas très bien vieilli ! Cependant j’aimerais bien le relire à l’occasion pour me replonger dans mon enfance ! Bref merci de cette madeleine de Proust 😉

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