DC Graphic Novels, Graphic Nuggets, Trans-America-Express

Warlords (Steve Skeates/David Wenzel)

Warlords cover
©DC Comics & Atari Inc.

L’histoire est plus ou moins la même pour ce second DC Graphic Novel qui émane lui aussi d’un projet Atari mort né.

Warlords est donc lui aussi un fameux jeu pour l’Atari 2600 qui repose sur un concept à mi-chemin entre Pong et le casse-brique mais qui surtout se joue à 4 personnes.
Chaque coin de l’écran est rempli par un bloc sensé représenter un fort et assigné à un joueur. Un drago lance une boule de feu que les joueurs doivent ensuite se renvoyer les uns aux autres pour détruire les forts adverses et rester le dernier en piste.

Afin de livrer une adaptation de ce jeu vidéo, Joe Orlando s’est tourné cette fois-ci vers ce qu’on pourrait nommer 2 outsiders.
Le scénariste Steve Skeates est un vétéran de l’industrie des comics et un homme très singulier.
Comme cela est perceptible dans la longue interview rétrospective qu’il a accordé au site Nerdteam, Skeates est un artiste d’une humilité rare dans ce milieu, voire une personne faisant même preuve d’une auto-dépréciation certaine.

Warlords Atari
©Atari Inc.

 

Steve Skeates est né le 29 janvier 1943 à Rochester dans l’état de New York.
Le petit Steve passe ses 5 premières années à vivre dans le grenier de sa grand-mère !!
Rassurez-vous, nulle histoire d’enfant battu ici.
C’est juste que les Skeates se voient comme des self-made-men et le père de notre héros avait pris la décision de construire sa maison entièrement de ses propres mains et qu’en attendant, ils avaient bien besoin d’un toit sur la tête.

Venu l’âge de l’école et disposant enfin de sa propre chambre, Steve Skeates devient un enfant rêveur, solitaire et assez renfermé qui a bien du mal à s’adapter.
Seule échappatoire pour le garçon, la lecture et plus particulièrement celle des comics.
Sauf qu’à la différence de bien de ses futurs collègues, il n’a aucune appétence pour les superslips !
Non, ce qui fait vibrer Steve se sont les funny animals, les bandes humoristiques et le magazine MAD.
Tout cela fait naître en lui la vocation de l’écriture même si il bute sur un gros problème, à savoir qu’il est un lecteur très lent.

Néanmoins, il s’accroche et publie ses premières bandes dans le journal du lycée avant de bizarrement poursuivre un cursus en mathématiques lors de son arrivée à l’université, choix malheureux qu’il décrira comme la décision la plus stupide qu’il ait jamais pris dans sa vie.
Afin d’échapper à des études définitivement pas faites pour lui, Skeates commence à envoyer des articles à différents journaux dans l’espoir d’être embauché.

C’est à cette période, au début des années 60, qu’il découvre presque par hasard les comics Marvel et c’est pour lui l’hallali, le eurêka, la pomme de Newton mais sans la bosse.
Notre jeune homme est sous le charme des bandes de Kirby et de Ditko et, prenant sont courage à 2 mains, il envoie immédiatement sa candidature aux quatre grands éditeurs de comics de l’époque et ce pour n’importe quel emploi.
Afin de se démarquer de n’importe quel fan voulant travailler dans cette industrie, il envoie sa candidature sous forme d’un comic-book complet avec lui-même portraituré en superslip.

Skeates

Amusé par cette originalité et cet aplomb, notre ami la moumoutte-en-chef de Marvel décide de le recruter en qualité d’assistant personnel en 1965.
Sauf que l’inexpérience de Skeates devient vite un handicap et, chargé de corriger les épreuves finales avant impression, il laisse passer plusieurs erreurs flagrantes .
En conséquence, le Dentier aiguisé lui retire son job au bout de 2 semaines et le donne à Roy Thomas.

Cependant, après s’être recoiffé, le Toupet reconnaît les qualités d’écriture de Skeates et lui confie le scénario de plusieurs bandes de Western en compensation.
Utilisant sa relation avec le Postiche au vent en poupe comme carte de visite, Steve Skeates trouve rapidement d’autres travaux d’écritures tout d’abord chez Tower (Undersea Agent, Noman) puis Charlton (The Question), Warren (Vampirella) et DC (Hawk & Dove, Aquaman, Teen Titans..).

Faisant feu de tout bois, le jeune scénariste devient l’une des forces vives de DC tout au long des années 60-70 et parmi ses faits d’armes les plus fameux, nous pouvons citer son run sur Aquaman avec Jim Aparo.
Nous pouvons distinguer aussi sa collaboration avec Steve Ditko sur Hawk & Dove qui ressemblait peu ou prou à la relation entre les 2 héros du comic book au vu des opinions politiques pour le moins antagonistes entre les 2 Steve.
Cependant ce sont ses travaux humoristiques pour Plop!, l’équivalent DC de MAD, qui restent chers au cœur de Skeates et lui vaut la reconnaissance de la critique, principalement les histoires qu’il produisit en compagnie de Bernie Wrightson ou Sergio Aragones.

Mais l’essentiel de sa production se fait en compagnie de la dessinatrice de l’éphémère série Omega the Unknown, Mary Skrenes.
Avec elle, il produit un nombre incommensurable d’histoires fantastiques pour des magazines tels que Weird War Tales, House of Mystery, Weird Mystery Tales… autant de comic books sous la supervision ni plus ni moins de Joe Orlando !!
Nulle surprise donc à ce que l’homme au nom de ville floridienne fasse appel à un Steve Skeates comptant au rang de ses plus réguliers collaborateurs pour illustrer un des mini-comics devant accompagner les jeux Atari.

Wenzel

Né le 22 novembre 1950, David Wenzel est principalement connu en France pour son adaptation dessinée de Bilbo le Hobbit parue à la fin des années 80.
Cependant son rêve premier était de travailler dans un des grands studios d’animation de Los Angeles et c’est en ce sens qu’il se consacra au dessin dès son plus jeune âge.

C’est cet amour du cartoon qui le rapprochera d’un certain Larry Marder, futur fleuron des comics indépendants avec son Tales of the Beanworld, durant ses études supérieures.
Mais une fois son diplôme en poche, Wenzel débute comme bien de ses camarades dans le secteur publicitaire avant de se tourner vers l’industrie du comic book plus à même de laisser libre cours à l’imagination des dessinateurs.

Après un premier essai chez DC, il choisi cependant de poser ses valises chez Marvel.
En effet, cet éditeur lui offre la possibilité de travailler sur les personnages d’un auteur qu’il adore, Robert E. Howard.
Ainsi, outre quelques brèves prestations sur Kull et Cormac Mac Art, David Wenzel est le dessinateur semi-régulier de la back-up consacrée à Solomon Kane dans les pages de Savage Sword of Conan de 1976 à 1983.
Autre fait d’armes, Wenzel est appelé en dernière minute pour reprendre la série Avengers suite au départ du populaire Georges Perez et dessine ainsi la majeure partie de la fameuse Korvac Saga qui valut à l’équipe créative l’Eagle Award de la meilleure série continue pour l’année 1979.

Cependant, Wenzel prend bien vite ses distances avec les cadences infernales des comics mensuels pour se rediriger vers l’illustration peinte.
Il faut dire que notre homme brûle d’une passion pour l’Histoire mais surtout pour l’heroic fantasy et plus particulièrement pour l’oeuvre de Tolkien.
Ainsi, il produit un recueil consacré à la Terre du Milieu sur des textes de Lin Carter en 1977 et trouve là une reconnaissance et un succès qu’il ne rencontre pas au travers des comics des Big Two.

S’il continue de travailler sur Solomon Kane par amour pour le personnage, son temps sera dorénavant consacré à l’illustration de plusieurs romans revenant sur l’histoire américaine et d’oeuvres de fantasy.
Et c’est bien pour sa qualité de peintre de mondes médiévalo-fantastiques qu’il est engagé par Joe Orlando afin de mettre en images le scénario de Steve Skeates.

Skeates et Wenzel travaillent donc à donner consistance à un jeu manquant à nouveau singulièrement de background (encore une fois rien que de très normal pour l’époque) afin de produire une nouvelle série de mini-comics pour Atari avant que leur histoire ne soit retravaillée pour devenir un DCGN pour les raisons évoquées dans l’article sur Star Raiders.

Warlords1
©DC Comics & Atari Inc.

 » « Just Plain Dwayne » est un troll qui ne désire rien tant que de buller tranquille et accessoirement de soutirer un peu d’argent à son prochain.
Bien malgré lui, il se retrouve pris au centre d’une guerre fratricide entre 4 souverains qui pourrait bien mener le monde à sa perte. »

Hé bien, c’est qu’il est pas mal du tout au final ce DC Graphic Novel !!
Steve Skeates, avec son concept du franc tireur qui bouscule les 4 royaumes, effectue une retranscription à la fois simple et maligne du principe de base du jeu original tout en proposant une histoire totalement indépendantes et auto-contenue.
Le scénariste construit ici un monde cohérent et bien troussé qui fait montre de sa connaissance de l’heroic fantasy.

Sauf que tout cela est au service d’un projet, celui de subvertir le genre; un genre qui a bien trop souvent fait la part belle aux puissants, aux rois, aux princes, aux grands sorciers se battant pour décider du sort du monde car ils possèdent ce pouvoir par droit de naissance.
Et quand ce sont des gens du bas peuple qui sont au centre des attentions, ce sont le plus souvent des élus avec un lignage caché, ou des gens endossant la responsabilité royale à leur tour comme Conan, quand ce ne sont carrément pas des figures christiques comme Frodon.

Au travers de son « Just Plain Dwayne », Skeates nous propose pour sa part, un héros pas loin de ceux de John Carpenter; un mec qui n’en a rien à foutre de tous ces jeux de puissants, un type qui veut juste tracer sa route en faisant ce qu’il lui plaît en bon individualiste qu’il est.
Rien que le patronyme du héros (« tout simplement Dwayne ») démontre son origine de basse extraction et la volonté de Skeates de le garder proche du simple quidam ainsi qu’il constitue une note d’humour envers les patronymes souvent ronflants en vigueur dans l’heroic fantasy.
Et c’est ce que reste Dwayne jusqu’au bout, un mec qui ne pense qu’à son intérêt, qui ne désire aucune responsabilité autre que de mener sa propre vie comme il l’entend et s’il peut délester son prochain de quelques deniers ou passer la nuit dans le lit d’une belle gironde au passage, ce n’est que mieux.

Si Dwayne ressemble plus à un hobbit qu’à un troll, il est cependant un troll au sens le plus moderne du terme et c’est… terriblement drôle.
Il faut voir la manière dont cet avatar dégénéré de Bilbo, et ce jusque dans la possession d’un artefact magique lié au destin du monde, nargue la planète entière, comment il arnaque les puissants, comment il monte tout un chacun les uns contre les autres et comment il retourne chaque situation à son avantage en ne montrant aucun respect pour les camps du bien, du mal, de la foi, de la magie, de la technologie…

Et si vous avez le malheur d’être son ami comme ce bon gros géant qui l’accompagne, dites vous bien qu’il risque de vous rouler dans la farine et de vous humilier avant la fin de l’aventure.
En résumé, Dwayne semble être un troll de la pire espèce sortie de la fange la plus sordide de 4chan ou Twitter et c’est un plaisir certes régressif mais ô combien délicieux que de le voir se payer la tête des clichés de l’heroic fantasy.

Warlords 3
©DC Comics & Atari Inc.

Si le scénariste semble céder dans le dernier tiers aux fameux cliché de « l’élu avec un lignage caché qui sauve le monde », il retourne le tout comme un gant dans la page finale en nous montrant bien que Dwayne n’a pas changé, qu’il n’a rien appris et qu’il prépare de nouveaux méfaits comme un sale petit morveux.
Toutes proportions gardées, on n’est pas loin de la conclusion du Orange Mécanique de Kubrick et de son Alex remis de ses mésaventures et rêvant à de nouveaux crimes.

Modérons donc maintenant un peu cet enthousiasme en signalant que l’on est tout de même bien loin de l’acidité et de l’énorme drôlerie que l’on peut trouver dans la mini-série Smax d’Alan Moore (lisez-la!!!).
N’oublions pas que Steve Skeates est un scénariste ayant émergé dans  les années 60.
En conséquence de quoi son humour pourra apparaître bien désuet et gentillet pour le lecteur moderne, ce que nous ne contesterons pas ici.
Cela reste néanmoins une tentative très agréable à la lecture et novatrice pour l’époque vu qu’elle coïncide, à quelques mois près, avec la sortie du grand classique de l’heroic fantasy humoristique, le 1er volume des Chroniques du Disque-Monde de Terry Pratchett.

De son côté, David Wenzel démontre tout son talent d’illustrateur d’heroic fantasy au travers de superbes pages peintes qui trouvent un équilibre parfait entre grands panoramas propres aux couvertures de romans et dynamisme nécessaire pour un comic book.
Le lecteur qui n’a lu que la Korvac Saga sera totalement surpris par l’évolution d’un graphisme dorénavant libéré de toutes contraintes et qui abonde en détails foisonnants à chaque case, donnant ainsi l’impression d’un monde grouillant de vie.

De même, Wenzel porte une attention toute particulière aux 4 souverains et à leurs royaumes qui possèdent chacun une identité différente passant autant par le design des vêtements et des décors que par la couleur (bleu pour l’un, rouge pour un autre, blanc, jaune).
Ce sens du design convoque le passé européen et si le royaume de la magie reste dans les canons d’un médiéval fantastique « de pacotille », les autres se réfèrent tour à tour aux mérovingiens, à la France des Capet et à la Renaissance.

On pourra cependant reprocher une impression légèrement approximative qui entraîne des débordements de couleurs ici et là mais c’était malheureusement souvent le lot à cette époque.
Reste malgré tout un régal pour les yeux de ceux qui auront apprécié le Bilbo de Wenzel.
Las ! A l’exception de Conan, l’heroic fantasy est un genre qui a toujours eu beaucoup plus de succès en Europe qu’aux Etats-Unis et les réussites commerciales dans ce créneau sont rares dans le monde des comic books.

Du coup, entre un genre qui n’est pas porteur, le fait que ce soit à nouveau une mini-série reconditionnée, bien que ça ne se resssente pas à la lecture; et des auteurs qui font figure d’outsiders, ce DCGN n’a pas réussi non plus à s’imposer.
Heureusement pour le lecteur français, cette histoire fut elle aussi traduite par Arédit/Artima sous le titre Les Seigneurs donc si vous la trouvez d’occasion, n’hésitez pas à la glisser dans votre panier car vous aurez là un récit bien agréable.

Warlords 2
©DC Comics & Atari Inc.

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